jeudi 29 septembre 2011

(Habemus Papam) (Nanni Moretti)

Habemus Papam a beaucoup fait parler de lui au moment du Festival de Cannes 2011. Nanni Moretti y réussit le prodigieux exploit de réaliser un film drôle qui n'est pas une comédie. C'est un film entre mélancolie, burlesque, ironie; tout en subtilité.

Un nouveau Pape est élu. Mais cet homme est en proie aux affres de la dépression. Plombé par le manque de confiance en lui-même, il se liquéfie devant la tâche qui lui incombe, et qu'il tient pour majeure.

Tout l'intérêt du film réside dans cet oscillation perpétuelle entre les registres. Ce pourrait être grave, sérieux. Le film commence d'ailleurs ainsi, plein d'austérité. Mais le huis-clos du conclave laisse tout de suite à la dérision. Presqu'à l'auto-dérision d'ailleurs, mais une auto-dérision involontaire - du moins inconsciente - de l'Eglise.

Les cardinaux, prisonniers de la rigidité de leurs institutions, ne savent comment réagir à cette situation qui remet en cause la raison même de l'existence de l'Eglise : si le Pape n'est pas prêt à être Pape, il est tout de même réputé avoir été élu par Dieu qui a "soufflé" aux cardinaux leur vote. Il ne peut donc ne pas être intronisé. Sinon, c'est remettre en cause l'existence même de Dieu, et, en tout cas, d'une Eglise qui ne serait qu'en fait qu'une organisation oligarchique injustifiée. On sent tout le long que les cardinaux sont tentés par une solution que le huis-clos secret leur offre : celle de recommencer l'élection. Mais s'écarter - même pour le bien de l'Institution - des règles établies, c'est ouvrir eux-mêmes pour eux-mêmes une brèche dans l'inébranlabilité de leur foi.

On a d'ailleurs beaucoup lu ou entendu dans diverses critiques qu'Habemus Papam était un film sur la crise de foi d'un Pape. C'est faux. A aucun moment ce Pape ne remet en cause Dieu. Au contraire. Mais son mal remet en cause l'Eglise qui n'a pas la souplesse de l'accepter. 

Le film met en exergue le piège que s'est tendue l'Eglise à elle-même : en fondant la justification de son existence sur des concepts qui refusent la psychologie, elle a créé son propre talon d'Achille. Car à la moindre apparition irréfutables des problèmes de l'inconscient (qui seraient inconciliables avec l'âme), cette justification se trouble ébranlée. En filigrane, si l'Eglise avait su être plus souple avec les concepts post-Freudiens, elle serait plus solide, et pourrait plus facilement se rapprocher du peuple, celui des gens qui sont dépressifs, qui consomment des psychotropes et vont chez des psychanalystes, sans pour autant ne pas être croyants.

Et Moretti s'amuse avec cette déconnexion naïve, avec l'isolement des pontes de l'Eglise du monde réel. Le huis-clos du conclave, où un psychiatre athée (joué par Moretti lui-même) se retrouve enfermé avec les cardinaux, lui offre la possibilité de s'amuser, comme le fait son personnage.

On découvre de vieux messieurs complètement perdus parce que la réalité s'éloigne d'un pouce des règles formelles et solennelles qu'ils connaissent. De grands enfants attendrissants qui se gavent de somnifères (comme tout le monde) tout en refusant le concept d'inconscient, de moi, de ça, et de sur-moi. Et le psychiatre joue avec eux, leur organisant des tournois de volley impromptus qui les sortent de leur austérité, alors que le directeur du Vatican peine à maintenir les apparences et s'échevine à raisonner un Michel Piccoli fugueur.

Il y a le côté sérieux, et le côté drôle du film. Et il y a aussi le côté sombre. Celui de la dépression de Piccoli. Une dépression comme l'on en croise chaque jour, à chaque coin de rue, à la machine à café, que ce soit celle d'une université ou d'une grande entreprise, à l'étage des cadres ou dans le local ménager. Ce mal du XXème siècle. Cette lassitude, cette mélancolie, cette "non-envie" (plutôt qu'une envie de rien) permanente et ce cruel manque de confiance en eux qui laissent les gens éteints. On a jamais autant parlé de la dépression, qui n'est plus vraiment un mal tabou: saisonnière, continue, légère, profonde... mais elle est bien partout (et (mal) automédiquée comme le font les cardinaux à grand renfort de somnifères).

Piccoli est troublant de vulnérabilité. Incroyablement juste. A la fois curieux de son mal, et plein d'incompréhension à son égard. On vit avec lui tout le poids de ce mal, qui n'est pas vraiment une douleur, tout juste une tristesse, et qui l'écrase.

Moretti ne manque pas, au passage, de se moquer de la psychanalyse et de ses travers. Médecins qui se battent sur l'appellation des symptômes, ou leurs causes et orientent le patient vers leur dada d'études ("carence de soin" revenant souvent), crises d'égo des psychiatres qui ne savent eux-mêmes pas gérer leur vie... C'est finalement, extérieurement à l'Eglise, tout le monde vrai qui y passe : les maladies, les remèdes, les malades et leurs traitants.

L'exploit d'Habemus Papam reste de nous faire ressortir légers, comme après une comédie, sans jamais n'avoir fait de blague. C'est la comédie de la vie qui s'est jouée, la mise en scène qui nous a fait sourire plus que le bon mot. 

C'est le jeu de la subtilité qui a parlé.

dimanche 18 septembre 2011

(Présumé Coupable) (Vincent Garang)

Présumé Coupable est l'un de ces horribles films qui touchent au plus profond de soi, directement aux tripes. Retraçant l'histoire d'Alain Marécaux, l'un des 13 d'Outreau, l'huissier qui avait entamé une grève de la faim, il nous plonge dans l'univers carcéral et dans tous ses à côtés.

L'histoire tout le monde la connaît. Ces enfants et leurs parents qui accusent de viol treize personnes (en fait, plus d'une cinquantaine, mais seules les accusations contre ces treize là resteront tangibles) qu'on envoie en détention préventive, durant trois longues années, dont on place les enfants dans des familles d'accueil (leurs véritables familles pouvant les influencer en faveur de leurs parents), et que les médias surexposent.

Le film est humainement parfaitement juste. Philippe Torreton offre une interprétation absolument extraordinaire. Il est Alain Marécaux, tâche d'autant moins aisée que ce petit huissier au crâne rasé est presque quelqu'un qu'on connaît, tant il a été l'un des emblèmes des prévenus d'Outreau. Sa transformation physique, effrayante, digne de celle de Tom Hanks pour Philadelphia (une perte de plus de 20 kilos), entraîne d'autant plus le spectateur dans la spirale infernale de la dépression, de l'incompréhension, du suicide.


Qu'il est gênant de voir cet homme enfermé entre quatre murs, et enfermé en lui-même, presque comme une personne psychiatriquement malade, parce qu'on refuse de l'écouter, comme si sa réalité à lui n'était pas la réalité des autres. Ses quatre tentatives de suicide, qui semblent (selon l'orientation du film, elle-même fondée sur le récit d'Alain Marécaux) plus révéler une vraie volonté de mourir qu'un appel au secours, n'alertent pas les autorités carcérales ou judiciaires. L'homme n'est pas encore jugé coupable. Il est en détention préventive, une mesure censée être exceptionnelle et justifiée par la nécessité d'isoler le prévenu pour le bienfait de l'enquête. Quand la prison et l'opprobre publique deviennent un tel supplice pour une personne qui est toujours réputée innocente, ne devrait-on pas lui laisser une chance au dehors, quitte à "délocaliser" la personne des lieux de l'enquête ? Ou à la placer, comme il fût fait quelques semaines avant que le juge ne redemande le placement en prison, dans une institution médicalisée ?

On devient Alain Marécaux. On prend sa douleur, son enfermement, l'incompréhension qu'on lui oppose, et cet énorme sentiment d'injustice (renforcé par le vrai éclatement du fond de l'affaire que nous connaissons tous). Les personnages secondaires eux aussi offrent un moment de vérité. Sa soeur et son père apparaissent très peu, mais leurs 10 minutes de jeu mises bout à bout sont autant de moments de vérité. Le décès de la mère offre au film une nouvelle occasion de montrer ses traits de justesse... Mon expérience personnelle du deuil m'offre un nouvel oeil sur les scènes de film qui l'abordent: les justes, et les moins justes (qu'elles ressemblent ou non à mon propre vécu... c'est juste qu'elles offrent ce petit quelque chose qui dit "je te comprends, je vis ce que tu vis"). Et définitivement, celle-ci fait partie des plus justes que j'aie vues.

Il est bien agréable de voir un film qui ne dépeigne pas l'univers carcéral selon le nouveau stéréotype façon Animal Factory. Alain Marécaux y est entré huissier (et les professions juridiques, notamment celles malaimées comme la sienne, y sont mal vues) et "violeur d'enfant", ce que son avocat lui a bien rappelé de cacher. Le film montre la saleté de la prison, l'inconvénient de vivre à 6 dans une cellule miteuse et minuscule, sans intimité, sans possibilité de se reposer. Mais pas de scène façon Un Prophète, juste l'horreur de la prison dans "sa normalité".

En filigrane (mais un filigrane intense), le problème typiquement bureaucrate du placement des enfants, qui sont des humains. D'ailleurs, une petite envolée lyrique (la seule) de Torreton, lors d'un jugement sur la garde des enfants, aborde ce problème de l'humain oublié par le bureau. Les enfants Marécaux, que l'on place dans des familles d'accueil, alors qu'ils ont besoin d'amour et de compréhension, qui plongent: drogue, fugues, TS, déscolarisation... illustrent ce problème bien connu, mais duquel on parle peu : le sort des enfants de ceux qu'on envoie en prison.

Petit bémol: le juge Burgaud. L'acteur lui ressemble trait pour trait. Il est presque relégué au second rôle. Il ressort arrogant et inhumain. Complètement. Cela parait presque manichéen. Pas de tentative de  justifier ses non-excuses par son propre déni (coupable) ou la peur d'être radié de la magistrature. Juste la description d'un homme qui a condamné à l'avance (ce qui est manifestement vrai) et ne s'en mord absolument pas les doigts. C'était peut-être le cas, je n'ai aucun moyen de le déterminer. Mais cela donne aux esprits critiques l'occasion de penser que le film manque un tout petit peu d'objectivité, ce qui est dommage au milieu de toute cette justesse.

mardi 13 septembre 2011

L'Ombre du Vent, José Luis Zafon

L'Ombre du Vent est l'un des meilleurs livres que j'ai lus ces derniers mois. Et un livre qui gardera chez moi une dimension peu objective, celle d'avoir été un soutien personnel. Sa qualité première: être l'un de ces livres qui captivent et entrainent complètement dans leur univers. On fait abstraction de sa propre vie, alors même que des passages pourraient nous y renvoyer.

On est Daniel, le héros, qui narre à la première personne. On s'enfonce avec lui dans la Barcelone des années 50, on apprend à aimer les livres et les femmes qu'il aime. Fantômes et vivants se mêlent, imperceptiblement. Toute cette ambiance inquiétante, surannée, presque glauque à certains moments, absorbe le lecteur.

Chaque personnage, même extrêmement secondaire, dégage tellement vite sa propre existence, son propre caractère que l'on apprivoise, qu'on le découvre, et qu'on apprend de lui. Tout, dans ce livre quasi fantastique, parait tellement réaliste...

La plume est incroyable de qualité, comme l'on en croise rarement... Il dégage son univers, ses odeurs, son essence avec autant d'intensité que le Parfum de Suskind...

Plutôt que d'en parler, il faut le lire.

vendredi 2 septembre 2011

Nanards de la semaine: Captain America et Les Cowboys Envahisseurs

La semaine dernière, j'ai joué les cinéphiles... (ou pas), et suis allée voir deux grosses superproductions Hollywoodiennes.

Commençons par le pire, de façon à ce que le meilleur en tire du rab de gloire. Cowboys et Envahisseurs est clairement ma "bouse cinématographique" de l'année 2011, de celles qui font vraiment regretter d'avoir dépensé de l'argent.

Mais qu'est-il passé par la tête de Daniel Craig et Harrisson Ford ? Ils sont tous les deux excessivement connus, n'ont pas joué les rôles les plus prenants de l'histoire du 7ème art, mais toujours des choses correctes. Ils n'ont pas besoin d'argent, peuvent se négocier et même refuser un film nul. Là, ils sont deux à s'y être embarqués.

Pour faire simple, les aliens débarquent chez les cowboys, raptent leurs familles pour en tirer de l'or parce qu'ils sont très méchants, et ceux qui restent au village (deux mâles dominants, les deux lascars sus-cités, et des anti-héros basiques) partent en guerre contre eux pour sauver les leurs.

Effets spéciaux à gogo, mais pas de la meilleure qualité. Les aliens sont calqués sur le modèle gluant de la saga Alien justement. C'est d'ailleurs excessivement lassant que les formes de vie extra-terrestres soient toujours dépeintes soit en choses immondes gluantes façon insecte larvé, soit en petits bonhommes verts sympathiques. Finalement, Spielberg et E.T étaient peut-être les plus originaux. Les aliens ne parlent pas, vivent dans le noir...

Une magnifique et farouche jeune femme (il faut bien le petit ingrédient romantique) est alors parmi les humains à se battre. C'est en fait elle aussi une extra-terrestre, mais d'une autre planète que celle des envahisseurs qui ont exterminé son peuple. Elle a donc pris apparence humaine pour sauver la terre, et se sacrifier afin de détruire les méchants (roulements de tambour dramatiques et tonitruants pour accompagner). Evidemment, elle fait les yeux doux - et réciproquement - à Daniel Craig (un veuf toujours amoureux de sa femme), ça, c'est le quota sexuel platonique essentiel dans tout film à gros budget. Il faut quand même souligner qu'Olivia Wilde est vraiment belle. Il y a quelque chose d'intriguant dans son visage, et c'est elle qui colle le plus subtilement à son rôle (même si ce n'est quand même pas subtil).

Ce film est une caricature du début à la fin, et rien n'est bon à y prendre... Aucun effort d'imagination de la part du metteur en scène Jon Favreau, simplement une addition d'ingrédients vus et revus, et sans harmonie, avec excès. Pas même la sensation d'être diverti.

Captain America était bien meilleur. Ce n'est pas le film de l'année, mais il est rondement mené. Il faut saluer la qualité graphique... une partie vraiment large du film était en 3D... Beaucoup plus que le dernier film en 3D que j'ai vu (Pirates des Caraïbes).

L'ambiance Marvel était assez bien posée, même s'il y a des longueurs dans le film. Pas d'audace, pas d'originalité, mais un film honnête, qui occupe avec succès un soir. Un bon film à gros budget comme on s'y attend, sans grande surprise, mais qui remplit très convenablement son rôle.

Un peu dommage qu'il manque de finesse psychologique dans les caractères. Ce sera peut-être exploité dans une suite, puisque de toutes façons, elle est quasiment annoncée à la fin. Une suite totalement émancipée de Marvel car elle se situerait, d'après le dernier plan, en 2011.