dimanche 26 juin 2011

Le Chat du Rabbin

Le chat du Rabbin - le film - est une bien jolie surprise. Avant toute chose, j'ai compris d'où le réalisateur de "Gainsbourg, vie héroïque" a sorti la tête de son Gainsbarre. En effet, Johann Sfar, le réalisateur du film sur Gainsbourg est également le dessinateur de la BD (en cinq tomes) Le Chat du Rabbin. Le Gainsbarre qui hante Gainsbourg dans le film ressemble étrangement au chat.

Le synopsis est simple: le chat d'un rabbin, dans l'Alger du XXème siècle, narrateur de l'histoire, est doté de la parole, et entreprend avec son maître, et d'autres personnages colorés, un périple vers Jérusalem.

Le dessin est très original. La courbe ronde, la douceur de la couleur, ouvrent un monde de délices, gourmand, et généreux: une sorte de temple du "bien-vivre".

Il faut souligner l'excellente bande-originale (hormis la chanson de clôture d'Enrico Macias, qui, à mon sens, vient la gâcher, par toute sa caricaturalité), toute en musiques orientales, qui invite au voyage, et fait pénétrer au coeur d'un monde entièrement construit par Sfar auquel on veut croire.

Ce monde "donne envie", malgré toutes les "mochetés de la vie" que Sfar ne cache pas. En effet, dans cette Alger coloniale où les cafés ne servent "ni les Juifs, ni les Arabes" mais où ces derniers, également rejetés, se rejettent mutuellement, tout n'est pas rose. La bureaucratie française en prend pour son grade, tout comme le fanatisme religieux. Et pourtant, le monde du chat et du rabbin n'inspire que du bonheur et de la joie. L'espoir flotte partout. On ressort du cinéma heureux.

Il convient de noter l'excellence des personnages, et de leurs dialogues. Le chat, au centre, est incroyable, tant il se partage entre un cynisme malin, et une innocence délicieuse. Le rabbin et son cousin l'imam (rien que cette parenté est belle), en vieux monsieurs pleins d'amour sont attachants... et autour d'eux, tous apportent un petit quelque chose de plus, qui rend le film gai et haut en couleurs.

Mais surtout, derrière le dessin animé, derrière l'histoire "mignonnette" et les personnages attachants, se cachent (à peine) toute une série de réflexions profondes.


Sur la religion d'abord. Le chat, lui, est athée. Le rabbin, évidemment, non. Son cousin, musulman, ne croit pas aux mêmes choses que lui, mais se sent lié à lui parce qu'eux croient en quelque chose de commun: Dieu. S'en suivent différentes questions, sur la relation entre les religions, sur la façon de les prendre, sur la nécessité de les croire à la lettre ou de croire en leur fonction étiologique. Aucune réponse n'est réellement apportée. Mais un compromis de toutes ces opinions se forme et mène à un seul résultat: celui de la solidarité entre les hommes.

L'autre réflexion importante porte sur le langage. En effet, le film débute avec la prise du langage par le chat. Puis, ce dernier ne peut plus parler, jusqu'à ce qu'il rencontre le peintre russe, qui sera alors le seul à l'entendre. Enfin, lorsqu'il manque de mourir, il retrouve à nouveau la parole. Il expliquera son soudain silence par la non-écoute de ses maîtres. On ne sait donc pas s'il a réellement parlé, ou si seulement, la communication pour Sfar outrepasse le langage et relève plutôt de l'observation (et d'un échange qui lui est consécutif). Il y a d'ailleurs un passage très intéressant. Le chat raconte qu'avant de parler, il rêvait qu'il courait derrière des papillons, ou qu'il était pourchassé par des animaux plus gros que lui. Or, depuis qu'il parle, il rêve que sa maîtresse meurt, et que son père, le rabbin, sombre dans la dépression. De la part d'un auteur professeur de philosophie, cette anecdote n'est pas anodine, et ouvre à la réflexion sur notre relation avec la mort. Outre qu'elle est culturelle, elle serait donc inhérente à nos sociétés de communication orale. Il est impossible de déterminer ce que Sfar en pense réellement, mais cela invite à réfléchir à ce sujet.

Le Chat du Rabbin est un film plein de sens, qu'il faut sans doute visionner à plusieurs reprises pour en saisir l'étendue de la réflexion. Il sera également bienvenu de lire les 5 tomes de la BD.

lundi 20 juin 2011

Beginners (de Mike Mills)

Beginners est un joli film. Avec une certaine indolence, et une image résolument rétro. Dès le début, le film est situé en 2003. Pour autant, tant les décors, que le grain de l'image, ou la voiture du héros, Ewan McGregor, une vieille Mercedes des années 80 (alors que son personnage ne manque vraisemblablement pas d'argent) participent de cette ambiance surannée, et mélancolique.

C'est un film qui joue avec l'image. Un jeu un peu simple, un peu attendu. Des successions d'images présentes "par association d'idées" à la façon d'Amélie Poulain. Pour autant, malgré la facilité de l'idée, on se laisse prendre, et cela contribue à une atmosphère générale au charme désuet.

Beginners aborde plusieurs thèmes, filés. Le deuil, la maladie, l'arrivée d'une tierce personne dans le processus de deuil, et l'homosexualité. Le synopsis est plutôt simple: Oliver (Ewan McGregor) voit son père de 75 ans lui avouer son homosexualité au décès de sa mère. Le vieil homme lui confie se savoir gay depuis toujours, et avoir "essayé de se guérir" au début. Il décide donc d'assumer sa sexualité, malgré son âge avancé, et rencontre Andy (Goran Visjnic, ancien acteur d'Urgences), plus jeune que lui, et très différent du milieu intellectuel qu'a toujours fréquenté cet ancien directeur de musée. Au décès de son père, Olivier se retranche sur lui-même. Il rencontre alors Anna (Mélanie Laurent), une actrice française. Cette dernière ne sait pas comment se placer par rapport à lui. Elle dira d'ailleurs qu'elle ne sait pas si elle peut combler le vide laissé par le père d'Olivier.

Le film s'ouvre sur Oliver rangeant les affaires de son père que l'on sait décédé. Il repart cinq ans auparavant, par flashback, lorsque ce dernier lui annonce son homosexualité. Dès lors, le film ne fait qu'aller entre trois époques: 2003, où Oliver rencontre Anna, la période 1998-2003 où son père est malade, et l'enfance d'Oliver.

Le film aborde pudiquement l'homophobie du XXème siècle, et la peur de ces nombreux hommes de s'y confronter, et donc de s'assumer. Il n'y a aucune dénonciation violente, aucune critique. Juste cette pointe d'amertume, vécue à travers le père d'Oliver qui se reproche sa lâcheté. C'est une façon très douce d'aborder un sujet d'ordinaire traité avec le feu de la dénonciation. Pour autant, ça ne lui en fait pas perdre de son efficacité.

On vit avec le père d'Oliver le combat contre la mort, la volonté effrénée de la nier, et de la repousser. S'il vit de façon plus intense parce qu'il sait que les jours lui sont comptés, il refuse de voir la mort à terme. Cela semble dire (mais chacun projette son vécu) que la mort annoncée n'y prépare pas plus que la mort brutale. Elle laisse tout au plus le temps d'ajuster son comportement. Mais cela soulève quelques questions: est-ce une bonne chose? Cela permet-il de rester soi, vrai, et de partir comme on était plutôt que comme l'on voudrait être?

Mais le thème principal du film reste le deuil, en l'occurrence, celui d'Oliver. C'est lui qui ouvre le film, et qui le clôt. Là aussi, il est filmé avec beaucoup de pudeur. Il laisse en bouche l'amertume de la solitude, ce sentiment presqu'évanescent, léger, subtil, et surtout, permanent. Il illustre le désoeuvrement dans lequel plonge le deuil.

Or, l'arrivée d'Anna (Mélanie Laurent) dans le film, et dans le deuil d'Oliver est un tournant. Au début, c'est une bouffée d'air. Un élément nouveau. Très vite, les deux personnages s'attachent l'un à l'autre. Leur relation, faite de pitreries, est d'ailleurs très touchante, et lumineuse. Mais c'est là que vient la question d'Anna: puis-je compenser le vide laissé par ce deuil?

La situation est compliquée pour les deux. Pour l'endeuillé qui ne parvient à s'extirper de son deuil, et n'ose pas d'ailleurs le faire. Mais aussi pour "le tiers", impuissant, qui peine à trouver sa place.

Ce sera d'ailleurs la cause de la rupture des deux héros.

Jusqu'à ce qu'Oliver fasse enfin son deuil. C'est symbolisé par l'arrivée du flash-back au décès de son père. En effet, le retracement de l'acceptation de sa maladie par le père est parallèle au propre processus de deuil du fils. C'est alors que la place pour Anna se libère vraiment.

Beginners est réellement un joli film. Tout en charme et en pudeur, avec une délicatesse de l'image, des voix, de la musique, qui se perd dans le cinéma et dans la vie.