Le synopsis est simple: le chat d'un rabbin, dans l'Alger du XXème siècle, narrateur de l'histoire, est doté de la parole, et entreprend avec son maître, et d'autres personnages colorés, un périple vers Jérusalem.
Le dessin est très original. La courbe ronde, la douceur de la couleur, ouvrent un monde de délices, gourmand, et généreux: une sorte de temple du "bien-vivre".
Il faut souligner l'excellente bande-originale (hormis la chanson de clôture d'Enrico Macias, qui, à mon sens, vient la gâcher, par toute sa caricaturalité), toute en musiques orientales, qui invite au voyage, et fait pénétrer au coeur d'un monde entièrement construit par Sfar auquel on veut croire.
Ce monde "donne envie", malgré toutes les "mochetés de la vie" que Sfar ne cache pas. En effet, dans cette Alger coloniale où les cafés ne servent "ni les Juifs, ni les Arabes" mais où ces derniers, également rejetés, se rejettent mutuellement, tout n'est pas rose. La bureaucratie française en prend pour son grade, tout comme le fanatisme religieux. Et pourtant, le monde du chat et du rabbin n'inspire que du bonheur et de la joie. L'espoir flotte partout. On ressort du cinéma heureux.
Il convient de noter l'excellence des personnages, et de leurs dialogues. Le chat, au centre, est incroyable, tant il se partage entre un cynisme malin, et une innocence délicieuse. Le rabbin et son cousin l'imam (rien que cette parenté est belle), en vieux monsieurs pleins d'amour sont attachants... et autour d'eux, tous apportent un petit quelque chose de plus, qui rend le film gai et haut en couleurs.
Mais surtout, derrière le dessin animé, derrière l'histoire "mignonnette" et les personnages attachants, se cachent (à peine) toute une série de réflexions profondes.
L'autre réflexion importante porte sur le langage. En effet, le film débute avec la prise du langage par le chat. Puis, ce dernier ne peut plus parler, jusqu'à ce qu'il rencontre le peintre russe, qui sera alors le seul à l'entendre. Enfin, lorsqu'il manque de mourir, il retrouve à nouveau la parole. Il expliquera son soudain silence par la non-écoute de ses maîtres. On ne sait donc pas s'il a réellement parlé, ou si seulement, la communication pour Sfar outrepasse le langage et relève plutôt de l'observation (et d'un échange qui lui est consécutif). Il y a d'ailleurs un passage très intéressant. Le chat raconte qu'avant de parler, il rêvait qu'il courait derrière des papillons, ou qu'il était pourchassé par des animaux plus gros que lui. Or, depuis qu'il parle, il rêve que sa maîtresse meurt, et que son père, le rabbin, sombre dans la dépression. De la part d'un auteur professeur de philosophie, cette anecdote n'est pas anodine, et ouvre à la réflexion sur notre relation avec la mort. Outre qu'elle est culturelle, elle serait donc inhérente à nos sociétés de communication orale. Il est impossible de déterminer ce que Sfar en pense réellement, mais cela invite à réfléchir à ce sujet.
Le Chat du Rabbin est un film plein de sens, qu'il faut sans doute visionner à plusieurs reprises pour en saisir l'étendue de la réflexion. Il sera également bienvenu de lire les 5 tomes de la BD.