samedi 27 novembre 2010

(Djamilia) (Aïamatov)

Je me suis faite avoir par Aragon, qui m'a bien flouée. Aragon, c'est mon petit dieu de la prose mélancolique et colorée de pastels depuis que j'ai lu Aurélien. Une ôde à la couleur, aux impressions... C'était un peu Monet, Ninjinski et Kertész réunis.

Donc, quand à la Fnac je vois [u]Djamilia[/u] avec écrit en gros sur la couverture "la plus belle amour de tous les temps" Aragon, et que je constate qu'il l'a traduit du kirghiz (alors qu'en plus je m'étais décrétée dans une semaine d'interrogations sur le Kirghizistan dont on ne connaît rien du tout quelques jours avant), je me suis dit que ce serait sûrement un peu trop fleur-bleue, mais joliement écrit, quitte à avoir été infidèle à l'auteur. C'était un tout petit livre et j'étais sûre d'occuper ma soirée toute en nuances et en mélancolie.

Que nini! C'est une vaste blague. Une écriture simpliste (mais sans la beauté de la simplicité), une histoire qui aurait pu donner lieu à un film de l'après-midi sur M6 (le mari est à la guerre, Djamilia, magnifique, farouche et fière tombe amoureuse d'un paysan taciturne, qui chante l'amour de la terre et lutte contre les codes ruraux du Kirghizistan de la fin du XIXe siècle, sous le regard du narrateur, son jeune beau frère de quinze ans qui découvre par leur amour l'art et la beauté).

Ca n'aura eu le mérite que de m'apprendre que le Kirghizistan, c'est un peu comme la Russie profonde, que les mots se ressemblent, les récits de la vie rurale aussi, et que j'aurais mieux fait de me lire du Dosto.

Du coup, je me suis mise au Roman de l'Ame Slave. A venir.

vendredi 5 novembre 2010

(Au delà de cette limite, votre ticket n'est plus valable) (Romain Gary)

Romain Gary! Ou l'art de toujours me contenter. Je peinais sur les Mémoires de De Gaulle sans vraiment comprendre pourquoi: le fond m'intéressait hautement (à chaque page du début - surtout du début - je découvrais quelque chose que j'ignorais, à la lumière de laquelle tout prenait soudainement un sens plus logique, plus articulé), mais les pages ne se tournaient guère, je ne ressentais pas cette douce satisfaction de l'histoire qui pénètre mes pores (bien qu'un peu de l'Histoire) et commençais à constater qu'internet avait définitivement tué tous mes élans littéraires (avec, en partie, la dette que j'ai à la bibliothèque et que je rechigne à payer, et le prix des livres neufs).

Puis, j'ai trouvé un bon vieux Romain Gary que j'avais acheté un jour et que j'avais oublié au milieu de cette pile que je ne regarde plus, puisque je l'ai lue.

Et là, en quelques pages, elles étaient déjà cent. J'étais emportée, sans même m'en rendre compte, dans le tourbillon de ma lecture. Trois petits coups, et les 400 pages furent avalées, englouties et même digérées.

Toujours cette même limpidité et cette même façon de penser la vie, de disserter avec lui-même. De Gaulle disserte pas mal avec lui-même, mais il aligne des mots corrects, beaux, mais sans toute la musicalité, la passion, l'image et l'éloquence que Gary met dans sa réflexion. L'écriture au service de la pensée chez de Gaulle, la pensée habitant l'écriture chez Gary. C'est ce qui différencie l'écrivain des autres.

Au delà de cette limite votre ticket n'est plus valable est un livre plein de gravité. C'est l'histoire de la fin. Trois thèmes se mélangent: la peur de vieillir, l'amour et les problèmes d'érection. Il ne me semblait pas que cela pouvait autant préoccuper quelqu'un: c'est visiblement pour un homme non pas le (simple) symbole d'un échec, d'un manque de virilité, ou que sais-je, mais le bang de départ de la (trop) rapide course vers sa mort.

Le début présente tout ça. Mais c'est l'amour qui l'occupe. Celui du héros, Jacques, pour Laura, de trente ans sa cadette. Quelques pages sobres, sans fioritures, honnêtes, et pures. Quelques pages d'amour comme j'en ai rarement lues: avec la beauté de la sagesse.

Puis, la fin du monde. La débandaison. Ou la découverte du psychisme (et de la réalité médicale) d'un homme. Fort instructif pour une toute jeune femme loin de ces problèmes.

Enfin, la course effrénée contre la mort: coup classique du déni, de la colère, puis de l'acceptation. Vient donc l'heure du deuil de cette jeunesse qui s'envole. C'est évidemment la phase entre le déni et la colère qui est la plus violente, la plus intéressante. Cette avidité de se débattre contre ce qui est, et surtout contre soi-même comme si la mort pouvait faire des exceptions.

Au delà de cette limite votre ticket n'est plus valable est un chouette roman. Un roman de la sagesse. Un peu le pendant de La Naissance du Jour de Colette, dans ce qu'il a de mature, avec, en même temps, ce refus de le devenir. L'une revient sur son passé et reconsidère l'avenir et le présent d'un nouvel oeil, l'autre réfléchit au présent avec sagesse, et projette sans. Surtout, cela explique - un peu - la fin de Gary.

Ciel glaçon d'hiver