vendredi 5 novembre 2010

(Au delà de cette limite, votre ticket n'est plus valable) (Romain Gary)

Romain Gary! Ou l'art de toujours me contenter. Je peinais sur les Mémoires de De Gaulle sans vraiment comprendre pourquoi: le fond m'intéressait hautement (à chaque page du début - surtout du début - je découvrais quelque chose que j'ignorais, à la lumière de laquelle tout prenait soudainement un sens plus logique, plus articulé), mais les pages ne se tournaient guère, je ne ressentais pas cette douce satisfaction de l'histoire qui pénètre mes pores (bien qu'un peu de l'Histoire) et commençais à constater qu'internet avait définitivement tué tous mes élans littéraires (avec, en partie, la dette que j'ai à la bibliothèque et que je rechigne à payer, et le prix des livres neufs).

Puis, j'ai trouvé un bon vieux Romain Gary que j'avais acheté un jour et que j'avais oublié au milieu de cette pile que je ne regarde plus, puisque je l'ai lue.

Et là, en quelques pages, elles étaient déjà cent. J'étais emportée, sans même m'en rendre compte, dans le tourbillon de ma lecture. Trois petits coups, et les 400 pages furent avalées, englouties et même digérées.

Toujours cette même limpidité et cette même façon de penser la vie, de disserter avec lui-même. De Gaulle disserte pas mal avec lui-même, mais il aligne des mots corrects, beaux, mais sans toute la musicalité, la passion, l'image et l'éloquence que Gary met dans sa réflexion. L'écriture au service de la pensée chez de Gaulle, la pensée habitant l'écriture chez Gary. C'est ce qui différencie l'écrivain des autres.

Au delà de cette limite votre ticket n'est plus valable est un livre plein de gravité. C'est l'histoire de la fin. Trois thèmes se mélangent: la peur de vieillir, l'amour et les problèmes d'érection. Il ne me semblait pas que cela pouvait autant préoccuper quelqu'un: c'est visiblement pour un homme non pas le (simple) symbole d'un échec, d'un manque de virilité, ou que sais-je, mais le bang de départ de la (trop) rapide course vers sa mort.

Le début présente tout ça. Mais c'est l'amour qui l'occupe. Celui du héros, Jacques, pour Laura, de trente ans sa cadette. Quelques pages sobres, sans fioritures, honnêtes, et pures. Quelques pages d'amour comme j'en ai rarement lues: avec la beauté de la sagesse.

Puis, la fin du monde. La débandaison. Ou la découverte du psychisme (et de la réalité médicale) d'un homme. Fort instructif pour une toute jeune femme loin de ces problèmes.

Enfin, la course effrénée contre la mort: coup classique du déni, de la colère, puis de l'acceptation. Vient donc l'heure du deuil de cette jeunesse qui s'envole. C'est évidemment la phase entre le déni et la colère qui est la plus violente, la plus intéressante. Cette avidité de se débattre contre ce qui est, et surtout contre soi-même comme si la mort pouvait faire des exceptions.

Au delà de cette limite votre ticket n'est plus valable est un chouette roman. Un roman de la sagesse. Un peu le pendant de La Naissance du Jour de Colette, dans ce qu'il a de mature, avec, en même temps, ce refus de le devenir. L'une revient sur son passé et reconsidère l'avenir et le présent d'un nouvel oeil, l'autre réfléchit au présent avec sagesse, et projette sans. Surtout, cela explique - un peu - la fin de Gary.

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