jeudi 20 octobre 2011

(The Artist) (Michel Hazanavicius)

On a fait beaucoup de bruit autour de The Artist dont il faut convenir que la recette était osée. Réaliser un film muet pour se moquer en apparence du muet, mais qui en fait, par son existence même qui capte le spectateur réhabilite le muet, c'est tout un imbroglio difficile à expliquer !

Mais c'est la première des qualités de Michel Hazanavicius dans sa réalisation. A aucun moment il ne défend le muet. Pas d'argument, pas de démonstration scénaristique. Rien d'autre que la preuve par elle-même : faire regarder 1h30 de film en noir et blanc sans aucune parole (et seulement deux scènes de 10 secondes de bruitage) ni aucun son autre que la musique à des spectateurs des années 2000 habitués au dolby-surround, à la HD et même au 3D. C'est l'humilité même du raisonnement qui lui donne toute sa puissance.

L'histoire est simple: déchéance d'une star du muet à l'avènement du parlant, remplacé par une nouvelle génération d'acteurs.  Morale de l'histoire : le muet n'est pas complètement mort puisque c'est lui qui raconte le succès du parlant.


En revanche, un véritable univers se dégage : on retrouve le cadre du Hollywood que tous les films de et  sur son âge d'or ont inscrit dans notre imaginaire collectif (on retrouve d'ailleurs des décors communs au Dernier Nabab avec Robert de Niro) et le cadre général des années 30 américaines, grâce notamment à la reprise des techniques d'image de l'époque : maquillage, types de plan entrés dans notre inconscient (contreplongée sur le côté sur le visage féminin tourmenté, fameux plan de la personne dans la voiture qui espionne, scène de folie avec les ombres...).


Le film reprend tous les codes cinématographiques de l'époque... et les acteurs en font de même. Cela met une double difficulté à leur charge : travailler l'expression pour qu'elle se suffise à elle-même puisqu'ils ne parlent pas comme les héros du muet, et adopter la gestuelle des premières stars du parlant. Jean Dujardin et Bérénice Bejo offrent une prestation incroyable ! Certes au début, Jean Dujardin ressemble un peu trop à Jean Dujardin : son jeu d'assurance rappelle à la fois Loulou, Brice de Nice et OSS 117. En même temps, travailler l'assurance un peu comique très jouée par le visage est sa marque de fabrique. Passé ce premier cap, il se fait oublier et devient vraiment son personnage (George Valentin). Bérénice Bejo est absolument incroyable... Elle irradie de beauté à l'écran (telle les grandes des 30's-40's) et de charme frais.

Il faut aussi citer Uggy le fantastique petit chien du film (qui a reçu le "Dog d'Or" à Cannes) qui offre lui aussi une très jolie prestation pleine de charme et de malicité !

The Artist sait rester subtilement drôle sur le monde du cinéma tout le long, et en même temps, Jean Dujardin communique parfaitement bien le mal-être de son personnage déchu. Et malgré tout cette traversée du vide que l'on accomplit avec lui, la scène finale fait sortir léger, heureux, et plein d'une bonne humeur à la Fred Aster (à qui il est fait un très gros clin d'oeil à la fin du film). Et un film qui rend heureux, ça se souligne !


jeudi 6 octobre 2011

(La Délicatesse) (David Foenkinos)

J'ai lu La Délicatesse, et je l'ai lue avec mon regard à moi, celui d'une personne à qui on raconte une histoire similaire à la sienne. Alors je l'ai perçue comme je ne l'aurais sûrement pas perçue avant. J'ai tendance à croire que les endeuillés prématurés (ceux qui ont enterré ces êtres qui n'avaient pas l'âge de mourir) forment une catégorie de population à part, qui voit, vit, et comprend les choses différemment des autres.

J'ai décidé de lire certaines critiques sur ce livre, ce que j'évite de faire avant d'écrire la mienne, justement pour voir ce que les autres, les "normaux" en pensaient. J'ai lu que les procédés étaient faciles, que l'histoire était mièvre, que c'était un amalgame de pathos.

L'histoire que raconte Foenkinos est celle d'une jeune veuve qui n'a pas trente ans au décès soudain de son mari dans un accident de la circulation.

Justement, toute la réussite de La Délicatesse est d'être capable de suivre ce deuil avec simplicité (et avec délicatesse... seul point - d'ailleurs - du roman où le titre est approprié). On passe sur toute la période de choc, sur tous les moments de désespoir. On évite les interrogations sur la vie, les questionnements compliqués sur la mort, sur demain, et sur les jours d'après. En fait, Foenkinos passe court sur tout le travail de deuil. C'est sans doute ça qui a empêché les auteurs des critiques que j'ai lu d'apprécier tout cette délicatesse. Parce que cette peinture de la mort ne ressemblaient pas à celle qu'il attende, celle plus théâtrale que la vraie, mais aussi, celle plus facile. 

C'est avec finesse et pudeur que Foekinos parle, à peine, de ce deuil, qu'il replace dans ce qui prend le pas sur lui : le cours de la vie. On sait de Nathalie qu'elle ne vit pas - et ne vivra plus jamais - comme les autres gens. Mais elle vit. Elle se lève, elle travaille, et elle ne pleure pas. Ce qu'on peut retenir de Foekinos, c'est qu'il a toujours le bon mot pour tout ça, le mot léger, enlevé, délicat donc, et juste.

Le livre se concentre en fait plus sur la nouvelle histoire d'amour de Nathalie. Peut-être qu'elle est caricaturale. Je ne l'ai pas vraiment lue ni comprise. C'était d'autres thèmes qui retenaient mon attention. Mais de ce que j'en ai perçu, c'était joli. Mais plutôt que délicat, fin ou léger. D'ailleurs, j'aurais plus volontiers intitulé le livre La Finesse ou La Légèreté.

La prouesse de Foenkinos, c'est aussi son art pour la digression et sa passion pour l'anodin. Tous ces petits détails inutiles et savoureux qu'il insère au milieu de son récit (souvent dans les moments plus sombres) comme pour rappeler que ce sont par les petits riens qu'on reste suspendus à la vie, et que ces petits riens sont peut-être plus efficaces partenaires de deuil que les humains.

De Nathalie, on retient beaucoup plus sa fragilité que son malheur. Certes c'est le malheur qui en est la cause, mais l'auteur nous guide vers une vision d'elle non en tant qu'endeuillée, mais en tant que femme. Et Foenkinos exprime bien cette paradoxalité de la veuve qui ne veut plus qu'on la désire en tant que femme et à qui les regards masculins indélicats apparaissent souvent peut-être plus libidineux qu'ils ne le sont, et qui en même temps souffre de cette image de veuve, de personne que l'on ne peut regarder, à qui l'on ne peut parler, comme si la malédiction de ce qu'elle vit allait rejaillir sur son interlocuteur. Il entraîne le lecteur à regarder Nathalie en tant qu'être humain (plus qu'en tant que femme d'ailleurs), en tant qu'âme à aimer, tout en soulignant l'inappropriation des regards "bout de viande", comme celui de Charles, son supérieur hiérarchique, dont, du coup, toutes les avances échouent, alors que celles de Markus, avec toute son humanité et sa tendresse finit par obtenir de Nathalie qu'elle lui laisse une chance.

La Délicatesse est donc, selon moi bien sûr, un livre très juste et qui n'a au contraire pas cédé à la facilité. Car traiter le deuil en restant léger, c'est là le douloureux exercice quotidien de tous les endeuillés, et Foekinos le traduit très joliment en mots. Un film avec Audrey Tautou réalisé par l'auteur et son frère sortira normalement à la fin 2011.